lundi 20 octobre 2014

De l'art – Ô combien difficile – de la traduction...

S'il y a bien un sujet délicat à aborder sur les sites/forums communautaires, c'est bien celui de la traduction de nos jeux préférés. Pourquoi donc ? Parce qu'il y a toujours deux camps. Ceux qui ne jurent que par la VO, et ceux qui préfèrent le français. Et, bien souvent, ces deux camps ont du mal à cohabiter l'un avec l'autre sans que cela parte en pugilat.
À quoi sont dues ces tensions récurrentes autour des traductions ? Pas facile à analyser de manière sereine.
Upstalk ? Haricot ? Coco ?
L'anglais et le français sont deux langues bien différentes, c'est un fait. Ce qui est évident en anglais ne l'est pas forcément en français – et inversement.  Prenons par exemple un des derniers datapacks de Netrunner, sorti en France il y a quelques semaines. Upstalk est devenu Sur le Haricot. Hérésie, « foutage de gueule », ou simple logique ?
Upstalk est une expression anglaise pour laquelle il n'existe pas de traduction littérale immédiate. Alors, dans ce cas, comment fait-on ? Décomposer le mot pour essayer de trouver un sens (ici up et stalk) et de trouver un mot/expression qui colle, sortir du terme original et inventer une traduction ou chercher dans le background du jeu pour essayer de coller au thème ?


Bon, peu importe l'optique choisie. Le pack s'appelle Sur le Haricot, et, personnellement, je respecte. Ce sur quoi je voudrais faire réagir c'est la démarche intellectuelle qui mène à telle ou telle traduction. Les interrogations auxquelles est confronté le traducteur sont nombreuses. Les paramètres à prendre en compte aussi. Netrunner, c'est un univers bien posé, avec un background existant déjà bien étoffé d'autant qu'il existe un CCG antérieur sur lequel il se base.
Alors doit-on mettre au bûcher [HÉRÉTIQUE !!!! (c) Kaamelott] celui ou celle qui a choisi cette traduction ? Non, bien sûr. Sur le haricot fait référence à la construction de Jack Weyland, le Haricot Magique – ou l’Ascenseur de l'Espace comme il l'aime à l'appeler –, une de ses inventions. Dans le jeu, il y a Beanstalk Royalties qui est devenu Dividendes du Haricot Magique.  Ce cycle étant bâti autour de la colonisation extraterrestre, quitter la Terre en passant sur ce fameux haricot est tout à fait probable. D'où, à mon sens, le titre du pack.
Mais les exemples sont nombreux et récurrents.

Coâ ! Coâ ? koi !
Ah ! Voilà. Le Bullfrog et son homonyme  français, le Ouaouaron. Si cette traduction n'a pas déclenché la polémique à l'époque, alors moi je suis curé de campagne. Et pourtant ? Il est où le souci ? On est bien dans la bonne traduction.

Voilà ce qu'on trouve quand on cherche un peu :

Lithobates catesbeianus est une espèce d'amphibiens de la famille des ranidae.Elle est appelée ouaouaron (ou wawaron), grenouille mugissante ou grenouille-taureau (de l'anglais « bullfrog »). Le mot « ouaouaron » est d'origine iroquoise.
Oui, alors okay, le nom français est peut-être moins « classe » à prononcer que son équivalent anglais ( – Tiens, j'te colle mon Ouaouaron dans ta face, Psifumi ! ), mais, encore une fois, vous vouliez mettre quoi à la place ? Grenouille-taureau ? Bof, je ne suis pas convaincu que l'accueil aurait été meilleur. La personne qui a traduit a pris la peine d'aller chercher, de trouver une traduction qui colle parfaitement, et, encore une fois, c'est elle qui se fait pointer du doigt parce que « S'trop naze Ouaouaron lolilol xptdr !!! »
Ensuite, il y a les bugs, les ratés, les fumble. Ouais, comme la première version de Kit, ou run était devenu tour en français. Alors là, effectivement, c'est autre chose, parce que l'erreur à eu un impact – et pas qu'un peu – sur le jeu. Cela dit, lors de la sortie de C&C en VF, les boutiques disposaient de la version erratée de la carte et la donnaient à ceux achetant la Deluxe. Alors c'est mal, certes. Mais ça n'a pas porté à conséquence longtemps.
— Oui, t'es bien marrant de dire ça, ça n'a pas porté à conséquence ! Mais il y a eu foirage, quand même, hein ! C'est inadmissible !! Que fait la police ?
On est bien d'accord. Il y a eu un raté. Ce n'est pas le seul, en plus. Le Smith & Wesson et la Fenêtre sont devenus des Équipement  alors qu'il s'agit de Matériel. Je ne sais pas pour vous, mais est-ce que vous pensez que le staff d'EDGE a été ravi de voir ces coquilles une fois les boîtes imprimées et reçues ? De se faire fustiger et traiter de tous les noms par la communauté française en les tournant en dérision ? Non, ce n'est pas le cas (ou alors c'est qu'ils ont des tendances masochistes, ce qui m'étonnerait :-D).
Il y a d'autres coquilles : la Viper et sa hauteur de traque différente dans la VF par rapport à la VO, par exemple.

Tiens ! Voilà le plus beau ! Ce cher Deep Red, qui, lui aussi, a fait couler beaucoup d'encre. Ah, j'en ai lu des trucs là-dessus, comme quoi les traducteurs étaient tous des cons, et qu'ils avaient pris une traduction littérale alors que (bon sang mais c'est bien sûr !!!) c'est une référence évidente à Deep Thought, aux échecs et tout le toutim ! Ben, oui, c'est certain, tout le monde sait ça, même un gamin de 3 ans !  C'est vraiment des nazes, les traducteurs, hein ?
Ok ! Le match Deep Tought vs Gary date de 1989. Enfin, le premier. C'est-à-dire la bagatelle de 25 ans. C'est vrai qu'un truc aussi évident que ça, tout le monde le sait. Ils ont fait 2 matches, et GK a même joué un gambit dame durant une des deux parties. Tout le monde sait ce que c'est un gambit dame, bien sûr (sans chercher sur Google, évidemment !). Non ? Alors... comment vous pouvez demander à un mec de connaître l'histoire échiquéenne d'il y a presque 30 ans si vous-même vous ne la connaissez pas autant.
The King !

Deep Red a été traduit par Carmin. Ben oui, ça colle : Carmin <<-->> rouge profond <<-->> Deep Red. Elle est où, la merde ? Nulle part. (n.d.r. il y a un programme Shaper – Deep Thought – qui a été traduit par Méditation. Et à l'époque, il n'y a eu aucun tollé comparable. Pourquoi donc ?)

La traduction, c'est un putain de métier. Et cela ne s'improvise pas, j'en fais l'expérience tous les jours. Je disais plus haut que Netrunner dispose d'un solide univers. C'est un des nombreux paramètres que le traducteur va devoir prendre en compte. Quels sont les autres, d'ailleurs ? Difficile à dire pour certains, parce qu'ils vont être propres au texte à traduire. Mais je dirais, comme ça, à la volette :
  • Éviter les contresens.
  • Écrire en bon français, rédiger des textes clairs et facilement compréhensibles.
  • Ne pas hésiter à sortir de la VO si une VF littérale est lourde à la lecture.
  • Savoir reformuler.
  • Avoir une orthographe irréprochable, éviter les fautes de grammaire, de syntaxe.
  • Être un minimum au courant de « l'ambiance » dans laquelle on va évoluer, pour trouver des traductions qui restent dans le thème et qui ne choquent pas les habitués.
Si Luke Skywalker était resté Luc Marcheurduciel/Marcheciel (comme c'était le cas dans la toute première VF au générique de fin – sauf erreur de ma part –), il est évident que ça aurait eu beaucoup moins d'impact.
— Oui, mais là, coco, ya pas eu d'trad !!! Tu continues à me prendre pour un jambon ?
Ben non. Parce que cela fait aussi partie du travail du traducteur de savoir quoi traduire et quoi ne pas traduire. Il vaut mieux – à mon sens – éviter quelquefois de traduire certains termes plutôt que de vouloir traduire à tout prix et se retrouver avec un résultat moyen (voire naze).
Comment ça bosse, un traducteur ? Il ne suffit pas d'un Harrap's et de Google Trad, vous pensez bien. Évidemment, le premier est indispensable (contrairement au second).
Comment ça bosse, un traducteur, disais-je ? Ça bosse dans des délais qui sont souvent très courts. Ça bosse avec des contraintes de typographie multiples. Ça bosse avec, toujours, l'envie de faire au mieux. Sur mon bureau, j'ai toujours à portée de main :
  1. 2 dictionnaires des synonymes
  2. 1 des difficultés de la langue française
  3. 1 avec les expressions anglaises, 
  4. dictionnaire français (voire 2).
  5. Un Harrap's

Un traducteur, ça bosse avec envie, et avec passion. Un traducteur fait ce boulot parce qu'il aime ça (oui, oui, c'est un vrai travail, hein) et qu'il a envie de s'impliquer, d'offrir une VF de l'œuvre sur laquelle il travaille la plus parfaite possible aux gens allergiques à la langue de Shakespeare. Un traducteur, c'est une personne comme une autre, cependant. Avec ses ratés. Personne n'est infaillible, si ? Je ne crois pas. Que celui (ou celle) qui ne s'est jamais planté une seule fois dans sa vie m'envoie le premier piratage ;).
Quand un traducteur reçoit un ouvrage/jeu/whatever à traduire, la première chose à laquelle il pense (après avoir sautillé comme un idiot dans son siège) c'est : ok, comment je fais pour rendre une VF la plus proche possible de la VO et que la communauté/lecteurs soient contents ? Il se renseigne, farfouille le net, s'imprègne de l'univers et de l'ambiance. Il lit le texte en diagonale afin d'estimer la difficulté. Puis, il se lance. Avec précaution. En vérifiant chaque terme auprès de multiples sources (qui a dit Holonet pour Star Wars ? ;)). Le traducteur travaille avec 5 ou 6 fenêtres d'ouvertes en permanence sur son ordinateur. C'est simple : j'ai beau avoir un écran 24", pour être parfaitement à l'aise, il me faudrait 2 écrans et un bureau Windows étendu. Ensuite, il travaille, d'arrache-pied. Tous les jours. Afin de respecter les délais. Afin de rendre un travail le plus propre possible (et qui n'est jamais parfait, il faut le savoir). Malgré les remarques et les critiques, le traducteur continue. Parce qu'il a envie de faire plaisir.
Enfin, il y a une notion de respect du travail d'autrui que certains ont du mal à comprendre. Un dernier exemple ? Facile. Doomtown Reloaded a débarqué depuis quelques jours. Zanka et Yeo (du forum R4G) ont accompli un boulot de dingue en traduisant les règles en VF. Ils m'ont demandé d'y jeter un œil afin que je regarde quelques bricoles. Alors déjà, je les remercie de leur confiance en mon analyse, mais, surtout, si jamais je repère des imperfections/erreurs, je ne vais pas me moquer d'eux parce que tel ou tel mot/phrase n'est pas « bien » traduite. Déjà, la notion de bien est subjective, et puis, qui suis-je pour me permettre de me moquer du boulot des autres ?
NdA : Il s'avère que je l'ai pas eu, pour plusieurs raisons, le temps de les aider, mais mon respect vis à vis d'eux ne change pas.

Le traducteur, malgré ce qu'on en dit, est impliqué.
Et ça, tout le monde ne le sait pas.



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